2022, l’année du rebond économique ? Dans un contexte de flou conjoncturel, TelQuel questionne les patrons de grandes entreprises afin de recueillir leurs prédictions. Très rare dans les médias, le président directeur général de Laprophan, Farid Bennis, a accepté de décrypter pour TelQuel les grands enjeux de l’année qui débute. Selon son analyse, la conjugaison de la pandémie et de la lutte contre le réchauffement climatique permet à notre pays de se positionner comme une alternative crédible aux approvisionnements d’Asie.
TelQuel : La soudaine résurgence du virus à travers le variant Omicron tempère les espoirs de net rebond de l’économie en 2022. Quelles opportunités et quels défis entrevoyez-vous au cours de cette année qui débute ?
Farid Bennis : La résurgence du virus à travers le variant Omicron, beaucoup plus contagieux que le variant Delta, représente un nouveau défi pour notre système de santé et notre économie, même si ce variant est moins virulent. Il demeure difficile pour l’instant de prédire si cette nouvelle vague va permettre de passer au stade endémique ou si nous allons connaître un nouveau variant. Dans ce contexte, établir des prévisions épidémiologiques ou économiques relève de la gageure.
Ce nouveau variant du SARS-Cov-2 pose en effet de nombreux défis : perturbations de la chaîne d’approvisionnement au niveau mondial avec des coûts logistiques qui ont été parfois décuplés ; des coûts des matières premières, notamment dans le domaine de l’industrie pharmaceutique, qui se sont envolés. Le tout dans un contexte où les prix de vente sont fixés par l’administration et où plusieurs médicaments à prix abordables risquent de simplement disparaître et être remplacés par d’autres à prix beaucoup plus élevé.
Le médicament n’est pas une simple marchandise, il est essentiel pour notre santé. La politique de baisse des prix a un coût caché qui est exorbitant : c’est celui de la disparition des produits à prix inférieur à 50 dirhams. Il faut arrêter les effets d’annonce populistes de baisse des prix et au contraire assumer de les augmenter de quelques dirhams pour les sauver, tout en se concentrant sur ceux à plus de 200 dirhams !
Fort heureusement, il n’y a pas que des défis, il y a aussi des opportunités à saisir pour notre pays. Notre proximité géographique de l’Europe et notre position de hub pour l’Afrique nous ouvrent ainsi de nombreuses perspectives dans plusieurs industries, dont l’industrie pharmaceutique.
Je pense que nous pouvons devenir très vite la “nouvelle Inde” de l’Europe dans le domaine, entre autres, de l’industrie des matières pharmaceutiques grâce à la clairvoyance royale dans les années 1990 via les accords de libre-échange avec l’Europe et les États-Unis.
TelQuel : Le “Made in Morocco” imprègne désormais l’état d’esprit des acteurs économiques. Comment tirer profit de la sortie de crise mondiale pour mieux intégrer la production marocaine dans les chaînes de valeur internationales ?
Farid Bennis : Durant la pandémie, notre industrie pharmaceutique a pu faire face à plus de 80 % des besoins en médicaments figurant dans le protocole Covid. Même la production partielle de vaccins, autrefois considérée comme inaccessible, va devenir une réalité.
Plusieurs industries nationales sont en mesure de relever le défi du “made in Morocco” et d’intégrer notre production dans la chaîne de valeur mondiale. Le taux d’intégration locale dans l’industrie automobile a ainsi connu une nette amélioration, notamment à travers la fabrication de moteurs sur le site de Peugeot à Kénitra, et cette tendance se poursuit.
Dans la chimie et la parachimie, l’OCP a considérablement amélioré la valeur ajoutée de ses exportations au cours des dernières années avec la production de fertilisants, et continue de le faire. Dans le textile et l’habillement, on a vu émerger des marques 100 % marocaines.
La conjugaison de la pandémie et de la lutte contre le réchauffement climatique permet à notre pays de se positionner comme une alternative crédible aux approvisionnements d’Asie qui sont pénalisés par leur empreinte carbone et le coût du fret qui est pratiquement décuplé.
Le “made in Morocco” est déjà là. Il nous appartient à nous, opérateurs économiques, de poursuivre sur cette voie et surtout de continuer à y croire en surmontant les derniers obstacles.
TelQuel : Un important virage social semble avoir été pris par le royaume. La mise en œuvre au pas de charge de la généralisation de l’assurance maladie en témoigne. Pour les salariés, la crise a été rude. Envisagez-vous de reconfigurer votre politique RH à l’aune de cette prise de conscience globale de l’importance du capital humain ?
Farid Bennis : Permettez-moi, tout d’abord, de saluer cette initiative révolutionnaire de Sa Majesté le Roi, que Dieu L’assiste. Cette “révolution du Roi et du Peuple” est un acte majeur équivalent à celui du Général de Gaulle au sortir de la guerre mondiale avec la création de la sécurité sociale, un acte qui avait été instauré comme ici dans un contexte très difficile.
La généralisation de l’assurance maladie aura des conséquences très positives, à la fois en termes de santé publique, de productivité au travail, que de perspectives de développement pour tout l’écosystème de la santé, de l’industrie pharmaceutique aux cliniques et hôpitaux, sans oublier les professionnels de la santé, mais surtout de droit et de devoir et de sentiment de fierté d’appartenance à une même communauté de destin.
Chez Laprophan, tous nos collaborateurs et nos retraités bénéficient d’une couverture maladie complète depuis de nombreuses années, nous sommes d’ailleurs l’une des premières entreprises industrielles, après l’OCP, à avoir généralisé la couverture maladie à tous ses salariés.
C’est grâce à la contribution de centaines d’hommes et de femmes engagés que Laprophan a pu réussir le pari de créer dès après l’indépendance, contre toute attente, et malgré les oppositions et le scepticisme, une industrie pharmaceutique nationale et qui a servi de bouclier protecteur aux autres opérateurs qui ont pu émerger par la suite.
Pour nous, il ne s’agit pas tant de reconfigurer notre politique sociale RH — ceci est acquis —, mais plutôt de la mettre au service de notre métier qui a une exigence d’excellence donc de formation continue afin de proposer aux patients et professionnels de la santé des solutions thérapeutiques adaptées et accessibles à tous.
TelQuel : Quelle innovation, création de valeur, idée, changement de paradigme souhaiteriez-vous mettre en place dans votre groupe en 2022 ?
Farid Bennis : En 2022, Laprophan continuera de se repositionner pour faire face aux nouveaux défis, et consolider sa politique de médicaments de qualité, mais à prix accessible pour le plus grand nombre : en effet, notre prix moyen est le plus bas du marché, et c’est notre ADN. C’est cette ligne directrice qui donne du sens à nos efforts au quotidien.
Nous souhaitons aussi mener une démarche collective et atteindre avec nos confrères pharmaciens et industriels qui le souhaitent la taille nécessaire pour être à la mesure des ambitions de notre pays. Dans le domaine de la pharmacie, une entreprise qui a plus de 70 ans et qui est toujours présente avec force aujourd’hui, c’est déjà une vraie gageure, donc tout lui est permis. Et enfin, nous espérons pouvoir vous surprendre pour un prochain rendez-vous en 2022.